Le Napa Valley et la Côte Pacifique du nord de la Californie

Ce 24 juillet 1996, nous sommes dans le dernière semaine de notre mois dans la partie ouest des États-Unis et nous avons la façade pacifique au nord San Francisco devant nous. On a quelques repères et sites à voir, mais rien de bien grand.

Traversée du Napa Valley viticole

Mais d’abord nous devons sortir de la Bay Area et de sa circulation très dense. Les nombreuses voies peinent à digérer les files de voitures et de camions. On avance quand même, la circulation reste fluide. Après le dernier pont à péage Vallejo, la route est comme vidée. Il fait beaucoup plus sec et les bords du Highway sont plantés de lauriers roses en fleurs sur des centaines de kilomètres.

Laurier rose et blanc au bord de l'autoroute. Photo © André M. Winter

Laurier rose et blanc au bord de l’autoroute. Photo © André M. Winter

L’autoroute se transforme en voie rapide plus loin au nord dans le Napa Valley. Les collines sont couvertes d’une forêt bien maigre, les versants sont dorés par l’herbe sèche. Le fond des vallées et planté de vignes à perte de vue. Chaque pied de vigne est contrôlé et arrosé à distance. Des ventilateurs géants sont installées pour brasser l’air trop froid ou trop chaud. Ceci garantit la qualité uniforme des vins californiens. Comme en France, on trouve des châteaux de vignobles, mais ils sont tous de construction récente. On pourrait y faire des dégustations, mais nous avons de la route à faire. Nous nous attendions un peu plus du Napa Valley, mais ce n’est pas plus qu’un site de production industrielle de vin.

Vignes autour de Calistoga. Photo © André M. Winter

Vignes autour de Calistoga. Photo © André M. Winter

Nous passons ici parce que Christian veut aller voir les Mountain Vineyards, c’est le lieu de tournage de la série Facon Crest diffusée vers la fin des années 1980. André est moyennement intéressé, mais nous faisons des compromis vis à vis des vœux curieux de l’autre. Nous trouvons une carte postale avec une adresse exacte, mais pas le site exact. L’accès est sans doute interdit et bien caché.

Peu avant Calistoga, nous arrivons dans le Bothe Napa Valley State Park, nous ne savons pas pourquoi il a été aménagé, mais il dispose d’un camping bien ombragé. Une fois n’est pas coutume, nous montons notre tente bien avant le soir. Il nous reste donc plein de temps à rien faire, de toute manière il fait bien trop chaud pour entreprendre encore une excursion. Nous avons un seul voisin, mais c’est type un peu spécial. Derrière son camping-car, il s’entraîne à tirer avec une carabine et un pistolet. Quand même passablement énervés et ne sachant pas si c’est autorisé ou interdit, nous allons voir l’homme armée et le prions de cesser ses activités bruyantes et à nos yeux inutiles. Il se plie à notre demande et se retire sans trop de commentaires dans sa caravane. On profite alors du silence qui règne dans cette forêt

Le matin du 25 juillet 1996, il faut chaud dès le début de la journée, l’air ne bouge pas. Ce jour est en principe consacrée à la route, mais comme nous évitons les axes majeurs, on n’avance pas assez vite vers le nord. On voit des beaux paysages et prenons notre temps, chose que nous n’avons pas assez fait au début du tour. Oui, nous sommes conscients que nous approchons désormais de la fin des congés.

La sécheresse estivale autour du Clear Lake. Photo © André M. Winter

La sécheresse estivale autour du Clear Lake. Photo © André M. Winter

Nous quittons le Napa Valley par un col dans sa partie nord. Il n’y que peu de forêt, on voit donc bien retour sur les vastes étendues de vignes. Par la suite, le paysage reste sec et peu habité. Nous passons sur les rives est du Clear Lake, l’eau est effectivement belle et claire, mais aussi une odeur nauséabonde. Nous sommes dans une région volcanique comme en témoignent les collines autour. Nous rejoignons le Highway 101 à Calpella, mais nous voulons revenir sur la côte pacifique et nous bifurquons bientôt pour passer sur une bonne piste forestière et entre des arbres gigantesques vers l’ouest. Nous n’avons ici qu’une carte avec l’échelle catastrophique de 1:3000000, cela ne nous aide pas pour les recherches de détails.

Mais nous avons un peu de chance, nous traversons une forêt de redwoods. Ces arbres sont ici très énormes, même si nous en verrons des plus grands plus tard. La forêt est ici exploitée et des transports de bois avancent vers la mer. Ces semi-remorques ne sont chargés que de peu de troncs, parfois uniquement trois car ils sont tellement épais. Ils remontent vides de la mer et dans ce cas ils ont la partie arrière de la remorque posée sur la partie arrière du camion. Ils roulent avec un train d’enfer, mais il y a beaucoup de créneaux d’évitement pour les laisser passer. Cela marche aussi avec les caravanes encore plus lentes que nous, ces conducteurs se rangent sagement sur le côté quand nous arrivons derrière eux. C’est vraiment une conduite très agréable que nous ne connaissons pas d’Europe. Nous nous arrêtons dans une zone vague au bord de la route, mais même celle-ci est couverte des grands arbres. Le silence est parfait quand aucun de semi-remorque ne passe. Cependant des moustiques empestent le lieu.

La côte pacifique

Quelques centaines de mètres avant de rejoindre l’océan, nous plongeons de nouveau dans le brume et donc dans de l’air froid. C’est à chaque fois un choc, mais nous nous y sommes habités de depuis notre arrivé dans la région côtière. La brume n’est pas notre météo préférée, mais nous reconnaissons que cela peut aussi avoir du charme: les rochers enveloppés de brume, la rosée sur les plantes et l’humidité transgressant tout.

Nous passons Fort Bragg où se trouvent les plus grandes scieries du monde pour transformer les redwoods en planches. C’est bien sûr ici que tous transports de bois arrivent. Le lieu n’a bien sûr aucun charme et nous continuons sur notre route. La photo en bas a été prise quelques jours plus tard du train entre Seattle et Vancouver.

Camion chargé de bois. Photo © André M. Winter

Camion chargé de bois. Photo © André M. Winter

Le Highway 1 est est étroit et sinueux, mais le tracé est très beau. On passe parfois directement au bord des plages et d’autres fois dans une côte rocheuse raide. On voit des gens sur la plage, mais il n’y a bien sûr personne dans l’eau. Nous nous arrêtons souvent pour capter l’atmosphère de ces lieux. La brume lente qui atténue les bruits, les rochers très escarpés et le déferlement des vagues et l’embrun forment un contraste et un environnement féerique et tout autant menaçant. Quand nous descendons sur la côte rocheuse, nous pouvons observer les animaux et les algues que la marée basse nous présente. Une grande quantité de grandes algues avec un bulbe flottant échoue sur les rochers et les plages. L’odeur marine est logiquement très forte.

Brume sur une plage à marée basse. Photo © André M. Winter

Brume sur une plage à marée basse. Photo © André M. Winter

Sur terre poussent une multitude de cactées et de joubarbes en fleurs. Apparemment, il y a quand même assez de soleil pour ces plantes. André emporte quelques exemplaires, mais ils ne survivront pas longtemps. Nous sommes surpris de la sécheresse générale à deux pas du rivage, l’herbe est dorée comme à l’intérieur des terres.

Nous revenons à l’autoroute 101 peu avant Leggett et quittons ainsi la côte sur une voie plus rapide. Les petites routes en bord de mer sont ici vraiment difficiles et nous devons avancer. Il nous reste au moins 1300 kilomètres jusqu’à Seattle, nous avons encore pas mal de choses à voir et il nous reste quatre jours. Nous comprenons alors le deuxième nom du Highway 101: Redwood Highway. On passe en plein dans un partie avec les arbres les plus grands et les plus vieux. Le Humbold Redwood State Park ne couvre pas toute la surface ce cette forêt et on trouve des attractions privées comme le World Famous Tree House (construit en haut d’un redwood) au bord de la route. Nous ignorons cependant ces sites payants.

L’Avenue des Géants

L’autoroute 101 mène après Garberville dans la vallée très ensoleillée du South Fork Eel River. Ici se trouve une partie de l’ancienne route 101 et nommée The Avenue of the Giants. Elle passe par les plus vieux redwoods. Il ne s’agit pas d’un parc national ni d’un State Park, et le bout de route est assez agressivement commercialisé jusqu’à Myers Flat. Il faut payer pour rouler en voiture sur ou à travers des grands troncs, ces endroits sont bien sûr masqués de la route pour ne rien voir sans payer. Nous ne nous arrêtons qu’aux endroits préservés qui nous semblent bien plus intéressants.

La route Avenue of the Giants. Photo © André M. Winter

La route Avenue of the Giants. Photo © André M. Winter

Nous trouvons un simple parking au milieu des arbres géants à Williams Grove, Nous nous sentons petits comme des fourmis. On fait une balade entre les arbres jusqu’à la rivière et cet endroit est presque trop beau pour être vrai. À la rivière, le soleil perce à travers les cimes des arbres, l’eau et le ciel sont d’un bleu profond et la température ambiante est très agréable. Mais ce n’est pas le temps de casser la croûte, nous continuons donc.

Il n’est pas aisé de conduire une voiture dans cette forêt car il fait très sombre sous les arbres. La route évite les grands troncs, elle est donc sinueuse. Il ne faut pas trop regarder en haut sous peine d’être pris par des complexes d’infériorité. Certains arbres remarquables sont dotés de panneaux expliquant l’âge estimé, la hauteur et le diamètre du tronc à la base. Les plus vieux ne sont jamais les plus hauts car ils ont eu plus de chance d’être victime de la foudre, du feu ou d’inondations. Quand ils sont moins hauts, ils sont plus gros et peuvent donc mieux vieillir. Il se peut aussi qu’il soient moins intéressants pour les scieries. Les plus vieux, comme le Immortal Tree, atteignent ici 950 ans.

Christan et André devant la base du tronc d'un redwood. Photo © André M. Winter

Christan et André devant la base du tronc d’un redwood. Photo © André M. Winter

Nous retournons à l’autoroute 101, la région reste boisée et vallonnée. Par endroits, on passe des zones de travaux où la route est remise en état après le tremblement de terre de 1989. Nous replongeons dans la brume à Eureka et c’est la dernière ville avant une longue portion assez sauvage de la côte. On trouve ici des vieilles maisons victoriennes en bois, mais il fait trop froid et nous ne faisons que les courses pour ces derniers jours. Nous rendrons la voiture à Seattle, il faut donc commencer à acheter et à consommer avec le but d’avoir un minium à jeter quand nous revenons au mode en sac-à-dos.

La journée touche à sa fin et notre impression ne nous trompe pas que la recherche d’un camping sera difficile. Nous sommes loin de tout centre touristique entre l’Avenue of the Giants au sud et le Redwood National Park au nord. Le parc national nous semble trop loin et nous ne voulons pas camper dans la zone de brume froide. On change donc radicalement de direction: la route 299 nous mène en direction est et en montée dans les montagnes. Il fait beau et plus chaud dès que nous quittons la route, mais le soleil est en train de se coucher. L’endroit nous rappelle les montagnes du Colorado. Nous sommes seuls sur la route, mais nous ne voyons pas d’endroit pour camper, on continue donc à vive allure. Après plus de 40 kilomètres et la traversée d’une autre vallée nord-sud, nous voyons enfin un panneau vers un Campground. Une piste mène dans le vallon de l’East Fork Willow Creek qui est très sombre et nous y montons la tente directement à côté d’une rivière. Le sol est très irrégulier et nous ne dormirons pas trop bien sur les galets. Nous avons quand même des voisins campeurs bien que nous soyons loin de tout.

Vue de la tente. Photo © André M. Winter

Vue de la tente. Photo © André M. Winter

Le matin du vendredi 26 juillet 1996, il nous est comme souvent impossible d’attendre l’arrivée du soleil, la forêt est trop dense. On prend donc le petit déjeuner sur un banc trempé de rosée. Comme nous voulons passer dans le Redwood National Park, nous devons retourner les 40 kilomètres à la mer. On a déjà tellement roulé durant ces congés que nous n’y voyons aucun problème. Près de la mer, nous replongeons dans la brume et on avance vers le nord sur l’autoroute 101.

Mais peu après Arcata, notre jauge d’essence passe au rouge et le compteur nous dit que l’on est déjà depuis longtemps sur la réserve. Faire le plein dans le pays de l’automobile ne devrait pas poser de problème, mais avec le réservoir vide, on sent les distances d’un coup beaucoup plus. La station à Trinidad a fermée, c’est la première fois que nous voyons ça. Nous continuons donc en roulant de manière économe. On passe des lagons, de la forêt, et la route monte et descend. Nous arrivons à l’entrée du Redwood National Park après 27 kilomètres. Nous ne sommes pas à l’aise et nous nous renseignons plus sur la station d’essence suivante que sur les points à voir dans le parc national. Heureusement, le village Orick hors du parc n’est pas loin. Il n’y a ici que quelques maisons et une petite station d’essence. Nous avançons vers la pompe et nous sommes surpris de la voir cadenassée. Le panneau « No gas » est collé dessus. Nous interrogeons le pompiste, il nous dit qu’il y a une panne d’électricité et que cela dure depuis plusieurs heures. Il rajoute qu’il n’y a pas de stations dans le parc mais que d’autres stations sont disponibles à Trinitad.

Christian verse de l'essence du réchaud dans le réservoir de la voiture.. Photo © André M. Winter

Christian verse de l’essence du réchaud dans le réservoir de la voiture. Photo © André M. Winter

En dépit de ce qu’affiche la voiture, l’aiguille est sous « empty », nous retournons à Trinitad. En nous tourmentant à cause d’une potentielle panne subite, nous nous souvenons que notre réchaud fonctionne avec le même carburant! Il reste un demi litre dans la bouteille de réserve, nous le versons en partie dans le réservoir et en partie sur la voiture. Mais, chose incroyable, l’aiguille est un peu remontée. Nous ne savons pas si cela change vraiment quelque chose, mais nous sommes confiants de pouvoir faire les 30 kilomètres jusqu’à Trinitad, sans lumière et sans climatisation, en roulant tout doucement et en laissant rouler en descente. Avec la dernière goûte d’essence nous arrivons à une station apparemment ouverte, la pompe est moderne, nous voulons remplir le réservoir mais rien n’en sort. La panne d’électricité concerne tout le County. Nous devons nous avouer vaincus et nous résignons à attendre comme les autres qui sont là depuis plusieurs heures. Nous commençons à réfléchir aux alternatives ici quand soudain les lumières se remettent à briller et la pompe à clignoter. Nous sommes stationnés directement à la pompe, nous doublons donc aussi tous les autres qui attendaient depuis bien plus longtemps et nous remplissons notre réservoir pour USD16,80. C’est une somme que nous n’avions jamais dépensée pour faire le plein. La quantité prise dépasse la valeur indiqué sur la carte grise.

Tout cela nous prend énormément de temps et pendant que nous repassons une troisième fois sur cette partie de la route 101, nous nous forçons à réduire le programme pour les deux jours qui restent jusqu’à Seattle. Il nous restent encore plus 1000 kilomètres au moins! Nous notons quelques points sur notre carte au 3 millionième où les distances semblent minimes et nous accélérons plus qu’avant.

Le Redwood National Park

Ce parc national fera un peu les frais du temps perdu, aussi avons-nous déjà vu ces grands arbres dans l’Avenue of the Giants. On ne fait pas de randonnée étendue dans la forêt, on y va à la manière américaine, on fait presque tout en voiture. Le Redwood Creek Overlook est vite atteint par une route très étroite et sinueuse. On voit d’ici par-dessus les grands arbres jusqu’à l’océan (c’est à dire jusqu’à la brume au bord de celui-ci) et jusqu’au ruisseau Redwood Creek où se trouvent les arbres les plus grands du monde. Les records de certains exemplaires: 112 mètres, 6,7 mètres de diamètre du tronc et un poids de 500 tonnes. Il faut jusqu’à 2000 ans pour qu’une graine de 5 millimètres se transforme en arbre de cette taille. Hormis ces arbres, on voit aussi des belles orchidées dans la forêt.

Nous redescendons du point de vue pour rejoindre et traverser le Prairie Creek Valley sur le Newton B. Drury Scenic Parkway. On y est certes près de la mer, mais assez en altitude pour être à l’abri de la brume. Nous profitons de cet air agréable pour rejoindre le Big Tree sur une courte balade. Les arbres sont très grands, mais les fougères sont aussi géantes. Nous avons l’impression d’avoir rétréci. Nous voyons des petits arbres qui poussent sur les troncs renversés de vieux confrères. Mais en regardant plus précisément, nous devons admettre que le « petit » arbre est bien plus grand que les épicéas et pins dans nos forêts européennes.

Le Big Tree est énorme. Le grand feuillu qui pousse à coté ressemble à un petit buisson. Un panneau explique les valeurs clés: 1500 ans, 93 mètres, 6,6 mètres de diamètre pour une circonférence de 20,7 mètres à la base. Nous deux, pas vraiment de petite taille, sommes 50 fois plus petits. Hors des parcs nationaux et autres régions protégés, ces arbres sont commercialisés et abattus. Un seul suffit pour servir de base à plusieurs maisons. Nous essayons de passer dans la forêt hors chemin, mais c’est impossible avec les troncs qui couvrent le sol dans tous les sens.

Nous voulons encore un peu rester dans cette zone sauvage et nous ne retournons pas tout de suite à la route rapide. On prend donc le détour par le Coastal Drive, une route en mauvais état et en partie non goudronnée. Si près de la mer, nous revenons bien sûr dans la brume. Quand celle-ci passe entre les grands arbres, le paysage prend des allures effrayantes, on ne voit pas loin devant, pas derrière, on se sent observé, il n’y a pourtant personne. La route passe à côté d’une vieille ferme qui est en fait la Station Radar B-71 camouflée et datant de la Seconde Guerre Mondiale.

On passe sur un marche diagonale peu avant l’estuaire du Klamath River. En regardant en détail, cette dislocation se poursuit au-delà de la route à droite et à gauche, il s’agit d’un reste non-répare d’un tremblement de terre. La grande rivière débouche dans un grand arc dans la mer, le courant se heurte aux vagues et sur les plages traînent des lions de mer et beaucoup de bois mort. La petite route ne traverse pas la rivière, il faut remonter un peu le cours d’eau. On passe d’abord les restes de l’ancien pont emporté par une crue en 1964. Puis nous revenons à la route 101 où nous remettons la gomme. Plus que 830 kilomètres jusqu’à Seattle au minimum sans compter les détours que nous rajouterons!

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