Voyage forcé à Cayenne

Louis-Ange Pitou

France, Amérique du Sud

Période du voyage 1789-1801. La date de cet article est celle du retour de l’auteur en Europe.

Environ 2x 200 pages, première édition 1807 sans illustrations hormis une vignette par tome. Titre complet: Voyage à Cayenne, dans les deux Amériques et chez les anthropophages. Une version de 1909 sous le titre Les déportés de fructidor est illustré de gravures prises d’autres livres. Une réimpression de 1969 présente des illustrations en couleur non datées, titre: Louis-Ange Pitou Voyage forcé à Cayenne Mémoires pittoresques et libertins.

Version numérique sous divers formats: Volume 1 et Volume 2, version de 1807. Un scan de la version de 1909 est disponible sous Les déportés de fructidor.

Pitou est voyageur malgré-lui, car il part comme prisonnier sur les frégates de le jeune République Française en direction de Cayenne. Il s’agit des années de purge après la Révolution où l’on voulait, dans un accès de zèle, éradiquer tous les éléments anti-révolutionnaires. C’était un véritable nettoyage politique, les centaines de partants étaient en majorité constitués de d’anciens prêtres et autres ecclésiastiques. Pitou ne fait pas un secret de ses vues réfractaires et royalistes. Ce sont ses chansons, promulgues en public et ses travaux de journaliste conservateur qui lui valent la dénonciation et le ticket pour la Guyane. En somme, Pitou a la caractère de la droite actuelle en France comme Laurent Wauquiez ou Christian Estrosi. Il est inutile d’expliquer qu’une telle attitude harmonise fort peu avec la restructuration post-révolutionnaire où l’ancien régime risque de refaire surface. Pitou peut rentrer en France sous le consulat et publie son récit sous le premier empire lorsque la Révolution est complètement étouffée par dictateur Napoléon.

En mettant de côté le caractère conservateur de l’auteur, il faut lui reconnaître un grand amour du détail et d’honnêteté. Ainsi il étale sa vie complète et indique lui-même ses erreurs stratégiques. Il s’agit donc d’une auto-biographie entrecoupée de procès et de l’exil. Le texte n’est pas strictement chronologique et contient une multitude de longues parenthèses parfois romancées pour expliquer ses points de vue (sur le divorce notamment). De longues pages sont consacrées à des textes de chansons et à des poèmes. Il excelle cependant dans la description en détail du ridicule du procès, des conditions de détention, de la situation sanitaire sur la frégate et sur place en Guyane.

Son procès est court et extrêmement expéditif. Une dénonciation de n’importe qui suffit pour son arrêté de mort (car l’exil est le moindre mal). Pitou décrit aussi que les dénonciateurs étaient payés, c’était un système au nombre comme plus tard sous Hitler ou Staline. Avant le procès, il subit des mois d’agonie dans des prisons diverses. Les privations et tortures sont flagrantes, elles sont cependant habituelles dans ces temps-là. Pitou décrit ses plaies infectés à cause du manque de nourriture, d’air frais, de lumière et de l’insalubrité générale. Il ne s’en plaint pas spécialement, car ce système n’avait pas été mis en place par la Révolution, il existait bien avant.

Le transfert de Paris à l’embarquement sur l’Atlantique à Rochefort est presque ridicule. Il se passe une dizaine de jours accompagné d’agents divers et on loge la troupe de futurs exilés dans des prisons de fortune, le plus souvent sans surveillance. De plus, Pitou passe dans sa région d’origine, il aura une multitude d’occasions de fuite des plus aisées. Il reste cependant honnête envers ce système inhumain qui le maltraite.

La traversée sur une frégate commence comme le temps au cachot avant son procès, on traite bagnards comme des animaux, certains marins étaient en partie engagés sur des navires négriers. L’éloquent Pitou réussit cependant aussi ici de tirer son épingle du jeu en fraternisant à la fois avec certains prisonniers et quelques membres de l’équipage.

Sur place, il décrit la situation en détail, souvent en citant des textes d’origine. Il travaille comme un vrai journaliste et met en relation les ordres du directoire en France et leur exécution dans la colonie. Le dysfonctionnement est flagrant. L’idée du gouvernement de la jeune République est double: se débarrasser de ses adversaires et de rendre cultivable la Guyane comme les autres îles. Or en même temps, elle a promulgué l’interdiction de l’esclavage et bien sûr elle a d’autres soucis que de s’occuper des lointaines colonies. Les agents de la République sur place (et en France) sont tous corrompus et privent les prisonniers du nécessaire pour survire dans la jungle infecte. Ce sont en fait les habitants locaux (les vrais colons libres et les anciens esclaves) qui aident les déportés à survire (en leur enseignant les basiques de la vie tropicale et en les nourrissant).

De nouveaux déportés arrivent et on leur assigne un lieu vierge et marécageux dans la jungle. La mortalité est extrême, elle dépasse les 80% pendant que les responsables sur place s’enrichissent même des bribes que les morts laissent. Bien qu’anti-révolutionnaire, Pitou se positionne en critique honnête et s’en prend concrètement aux exécutants fautifs et décrit bien l’impossibilité de fonctionnement.

Le deuxième tome contient des longs procès verbaux et les listes des morts et survivants avec leur provenance initiale. Cela rend la lecture saccadée peu agréable. Ici se trouve aussi le récit qui vaut au titre l’ajout “et chez les anthropophages“. Son récit semble véridique, mais il est complètement hors cadre sans explication comment il y arrive et comment il en revient. Mais surtout il ne voit pas ce cannibalisme de ses propres yeux. Ces peuples sont certes rudes, se battent entre eux sexes confondus et une tribu peut passer et assommer ses voisins.

Le départ est aussi grotesque que l’arrivée, on libère les prisonniers et ils sont libres de rentrer. À condition bien sûr d’avoir de quoi payer la traversée et de trouver un navire. Ainsi certains restent sur place et deviennent colons libres. Pitou part tard et via New York. Le livre n’a pas de vraie conclusion. L’auteur rentre à Paris et cherche à publier son récit. Ceci lu vaut quelques nouveaux mois en prison. Il finit par avoir un poste de répétiteur dans une école pour enfants de riches (conservateurs). Ce chapitre final sort compètent du cadre et il est aussi doté de longs monologues comme s’il avait la réponse à tout.

Le port de Rochefort au 18e siècle. Dessin d’Ozanne, gravure de le Guaz.

Le port de Rochefort au 18e siècle. Dessin d’Ozanne, gravure de le Guaz.

Vue de la rade de l’Île d’Aix, dessin de Béraud, lithographie de Fournier

Vue de la rade de l’Île d’Aix, dessin de Béraud, lithographie de Fournier

Fregatte La Charente au moment où l’on hisse à bord les vieillards et les malades, dessin par Pitou, vignette du premier tome

Fregatte La Charente au moment où l’on hisse à bord les vieillards et les malades, dessin par Pitou, vignette du premier tome

Vue des Connétables, rochers voisins de Cayenne, tiré de Stedman, Voyage à Surinam

Vue des Connétables, rochers voisins de Cayenne, tiré de Stedman, Voyage à Surinam

Une marche a travers les marais de la Guyane. Tiré de Stedman, Voyage à Surinam

Une marche a travers les marais de la Guyane. Tiré de Stedman, Voyage à Surinam

L’inhumation des dépotés au cimetière de Konanama, par Pitou, vignette du deuxième tome

L’inhumation des déportés au cimetière de Konanama, par Pitou, vignette du deuxième tome

Rade de Cayenne par Pierre Barrère. Tiré de Nouvelle Relation de la France équinoxiale, 1743

Rade de Cayenne par Pierre Barrère. Tiré de Nouvelle Relation de la France équinoxiale, 1743

Plan de Cayenne au 18e siècle, tiré de Bellin, Description de la Guyane française

Plan de Cayenne au 18e siècle, tiré de Bellin, Description de la Guyane française

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