Les montagnes du Colorado

Un écart massif vers l’est

Nous n’avons plus le temps de nous arrêter et ne notons que les changements d’altitude, de météo et de la jauge d’essence. La route descend, on passe dans un orage et avec un réservoir de plus en plus vide nous nous dirigeons vers Vernal qui est à 55 kilomètres. Nous restons dans une zone géologiquement intéressante et des panneaux au bord de la route expliquent âge, fossiles et type de roche. Plus loin, nous passons dans un paysage transformé radicalement par une mine de phosphate à ciel ouvert. Même la route est déviée par endroits.

Vernal est notre point de ravitaillement pour l’essence et nos réserves en aliments pour les jours qui viennent. Il fait terriblement chaud durant l’après-midi. Nous passons le dernier coup de fil pour coordonner notre rendez-vous le lendemain quelque part près du col Independence Pass. Nous reprenons la route, mais nos ventres vident protestent vite et on fait une pause tardive  pour le déjeuner sous un grand arbre près d’une ferme. Nous observons les jeunes enfants qui s’amusent en quad et en moto-cross.

Plaque du Colorado. Photo © André M. Winter

Plaque du Colorado. Photo © André M. Winter

Rassasiés, nous avançons vite sur l’Interstate vers l’est jusqu’à Dinosaur. Les paysages sont doux, mais désertiques. Nous ne pouvons pas nous tenir à la vitesse autorisée (55 mph, 88km/h), nous suivons la cadence donnée par les gros camions (66 mph, 107km/h). Avec le village de Dinosaur, nous atteignons le Colorado. Le Dinosaur National Monument semble intéressant vu de loin, mais nous ne pouvons pas nous arrêter partout et nous venons de voir assez de géologie ces derniers jours. Nous sommes à peu près seuls sur la route près le carrefour de Rangely dans le grand bassin du Rio Blanco. On ne capte plus aucune station de radio et cela documente la solitude dans laquelle nous nous trouvons. L’atmosphère est lourde et l’orage éclate à tout moment, mais nous passons apparemment plus vite et n’en sentons que quelques gouttes.

Après 150 kilomètres, nous arrivons à Rifle et dans une sorte de centre civilisé. Nous tombons ici sur l’Interstate 70 qui longe la vallée du Colorado River. Le fleuve est ici encore une simple rivière bleue qui méandre dans la forêt. Sans nous arrêter, nous avançons sur l’autoroute jusqu’à Glenwood Springs. La route 82 nous fait passer dans un orage et en en sortant, nous sommes confus. Il n’y a plus de désert sec autour de nous, nous nous sentons transposés dans les Alpes. Les prés sont verts, les versants raides, les sommets des montagnes sont couvertes de neige, des panneaux publicitaires vantent les derniers modèles de chaussures de randonnée et il nous nous retrouvons parmi un grand nombre de touristes.

Le soir à Aspen

Nous arrivons à 19h30 dans la ville des « Alpes du Colorado ». À cette heure, l’office du tourisme a bien sûr fermé. Mais nous trouvons le bureau du Forest Service et à son entrée sont disponibles diverses copies de cartes de randonnées (Hiking Trails). À chaque tour est indiqué l’altitude finale à atteindre et nous cherchons la valeur fatidique de 13123 ft, cela correspond à notre marque des 4000 mètres. Nous ne trouvons rien dépassant cette valeur et nous prenons donc des copies d’une randonnée vers un lac de montagne.

Lors des courses, nous avons la confirmation d’être dans un lieu touristique huppé, les prix sont salés, mais on trouve ici des produits de qualité et européens. Aspen est un village d’hôtels et de chalets entassés les uns sur les autres. Les noms sont tous alpins: on trouve le Matterhorn Lodge ou l’Innsbruck Inn. Cela ne nous retient pas et nous nous retirons dans le Maroon Creek Valley lorsque le soleil se couche.

Silver Bell Camp Ground dans le Maroon Creek Valley

La route monte et on se retrouve dans la solitude d’une petite vallée alpine, la température chute progressivement et il commence à faire nuit. Une fois de plus, nous nous sommes trompés avec l’heure du coucher du soleil. Bien que l’accès soit solitaire, le premier pré avec un campings l’est beaucoup moins, il est plein à craquer. C’est la même chose au deuxième pré avec camping, le Silver Bell Camp Ground. Mais des gens installés sur un pré plus haut nous invitent à venir les joindre, il s’agit d’une extension mi-officielle. L’herbe de ce pré n’est pas coupée, les touffes rendent notre accès en voiture hasardeux et il n’est pas aisé de trouver un emplacement à peu près plat pour la tente.

Fatigués de la journée et du stress de trouver une place pour la nuit, nous cuisinons de nouveau dans le noir complet. Cette fois-ci ce n’est qu’un sachet de soupe. Lorsque nous voulons nous coucher, nos voisins sont pris de pitié et nous invitent à leur feu de camp. Les gens ici sont tous très orientés vers l’Europe et nous, vrais européens venant en plus des Alpes, sommes la curiosité du soir. Un américain de Las Vegas nous donne pleins de conseils pour la suite de notre tour non sans nous offrir du vrai vin italien. Ils nous racontent très fièrement leurs congés passés à Salzbourg, à Interlaken ou à Grenoble. Bien qu’ils parlent tous un anglais américain, ils ne rentrent pas dans les clichés américains que nous avons vu jusqu’ici. Leurs voitures sont des Mercedes et des Volkswagen. Ce sont des gens autour de la trentaine, il n’y a pas de retraités ni d’enfants et surtout personne n’est ici en grand camping-car. Certains ne sont ici que pour rendre visite à des amis et repartent le soir.

Il fait sensiblement frais, nous nous trouvons à 2600 mètres d’altitude. Nous nous couchons habillés dans nos sacs de couchage.

Buckskin Pass et sommet de 3974 m

Dès cette matinée du 11 juillet 1996, nous nous embrouillons avec l’emploi du temps. D’une part, on veut faire une randonnée étendue avec un but indéfini, d’autre part on a rendez-vous au col Independence Pass à 16 heures. Mais il faut aussi frais dans la vallée le matin et à 8 heures le soleil n’atteint pas encore le camping. Vu les montagnes autour, on peut encore attendre longtemps le soleil, nous plions donc notre tente et nous mangeons à la va-vite. En voiture, nous montons Maroon Lake Campground à 2910 mètres. La vallée est ici plus large et le soleil chauffant est visible. Nous n’attendons pas et partons équipés en randonnée vers le sud-ouest. Nous logeons d’abord le Maroon Lake. Sur son bord se trouvent des gros tas bâtis par des castors. Le paysage est fantastique, presque tape-à-l’œil. Nous nous trouvons dans la zone de protection de la Maroon Bells Snowmass Wilderness.

Dans les trois quarts d’heure qui suivent, nous passons dans une zone d’éboulis et de traces d’avalanches pour arriver au-dessus du Crater Lake à 3071 mètres.

Crater Lake et les Elk Mountains. Photo © André M. Winter

Crater Lake et les Elk Mountains. Photo © André M. Winter

Nous devons nos enregistrer dans une liste au Crater Lake pour que l’on puisse nous chercher si nous ne nous rayons pas de la liste au retour (il est interdit de camper hors structures sans réservation préalable). Bien que nous sommes très en hauteur, il fais très chaud. La limite de la zone des forêts se trouve au-dessus de 3600 mètres (pour comparaison, dans les Alpes elle tourne autour de 1800 mètres). Des squirrels sont présents ici comme partout.

On pourrait avancer très longtemps dans la vallée du West Maroon Creek vers le sud-ouest, mais nous bifurquons spontanément vers l’ouest dans le Minnehaha Gluch Valley et en direction den Buckskin Pass (3798 mètres). L’idée est de voir de là haut vers le Snowmass Peak. La crête sur laquelle nous nous trouvons se nomme Elk Mountains et compte parmi les région montagneuses aux tours de randonnée faciles mais longues. Il n’y a quand même que peu de monde sur les chemins.

Le Pyramid Peak, 4273 m. Photo © André M. Winter

Le Pyramid Peak, 4273 m. Photo © André M. Winter

La dernière partie sous le col Buckskin Pass est de plus en plus raide. Nous venons de l’est et de ce coté se trouve une grande corniche de neige que nous sommes forcés de contourner. Les couleurs sont très intensives: le bleu du ciel, le blanc des nuages et de la neige, le vert de prés et le gris-rouge des rochers contrastent très fort. Nous sommes surpris du manque absolu de vent, même au col l’air ne bouge pas. Nous sommes en short et en t-shirt et ce peu sous les 4000 mètres.

Corniche de neige au Buckskin Pass, 3798 m. Photo © André M. Winter

Corniche de neige au Buckskin Pass, 3798 m. Photo © André M. Winter

Mais ce col n’est pas un but satisfaisant pour des gens venus des Alpes. En plus, il nous semble avoir encore un peu de temps. Le sommet le plus proche se trouve au sud du col, c’est tout ce que nous pouvons décrypter de la mauvaise copie dont nous disposons. La crête est composée de gros blocs, la seule voie au sommet semble pourtant passer dans ce dédale car les versants est et ouest sont impassibles. André part très vite en direction du sommet et après quelques passages de grimpe, il franchit le passage-clé. Il est cependant irrité en regardant en arrière: il ne reconnaît aucun passage vu du haut pour le retour. On ne peut pas laisser de trace naturelle, il coince donc un sachet en plastique comme repère. Après ce passage, on avance facilement sur les blocs jusqu’au sommet.

Nous avons un altimètre barométrique analogue et nous voyons plus tard qu’il est très bien réglé, malheureusement, même avec un cairn assez grand, cette antécime du Sleeping Sextons mesure exactement 3974 mètres. Il n’en manque donc que très peu aux 4000 mètres. On  n’a plus assez de temps pour avancer vers le sommet plus loin au sud. En plus la roche change et semble plus cassante que les grands blocs de la montée précédente. La vue est ici déjà presque panoramique. Uniquement les Sleeping Sextons et les Maroon Bells dépassent au sud.

Altimètre barométrique analogue . Photo © André M. Winter

Altimètre barométrique analogue . Photo © André M. Winter

Le Sleeping Sexton et les Maroon Bells. Photo © André M. Winter

Le Sleeping Sexton et les Maroon Bells. Photo © André M. Winter

Pendant qu’André revient du sommet, Christian s’est habitué à la hauteur. Après une sieste, il avance aussi jusqu’en haut des blocs au sud du col (3963 mètres) et a la même vue grand angle sur ces montagnes du Colorado.

André dans la crête au sud du col Buckskin Pass. Photo © André M. Winter

André dans la crête au sud du col Buckskin Pass. Photo © André M. Winter

Retour par Aspen

Comme aimons avoir des produits frais, nous sommes forcés de faire des courses dès que c’est possible. Nous repassons donc dans la ville d’Aspen. Bien qu’il soit évident que c’est un lieu pomponné pour les riches, nous trouvons la ville sympa sous la lumière du jour. C’est sans doute dû au contraste face aux autres petites villes de province que nous avons vu. Elles étaient toutes assez sales, poussiéreuses et avec des maisons en ruine. Ce n’est pas le cas ici.

Nous sommes des cartographes, nous achetons donc des cartes du U.S. Geological Surveys au 1:24000 de la zone où nous randonnions ce matin. On nous offre en plus une carte au 100000e qui est de très bonne qualité. Les distances et les courbes de niveau sont en mètres. Cela doit être une carte unique aux USA.

Rendez-vous et nuit au col Independence Pass

Nous reprenons la route, toujours en direction est. La route qui monte à l’Independence Pass est étroite comme une route européenne en montagne. Les rochers au bord de la route sont pris s’assaut par des grimpeurs. Au col de 3686 mètres de haut, nous attend un van de couleur rouge bordeaux. À l’intérieur trois amis qui sont en route le premier jour. Nous sommes heureux que le rendez-vous ai réussi même si ce n’était pas facile à coordonner. On passe un temps à papoter, mais un vent désagréable souffle au col.

Nous descendons donc à l’est du col à un endroit que les autres avaient repérés comme endroit possible pour placer nos tentes. On cherche un peu dans une zone d’éboulis et couverte de forêts. Après une place trop près de la route et un accès à un tunnel de mine duquel coule beaucoup d’eau, nous trouvons un accès à une sorte d’île au milieu du torrent North Fork Creek. Christian et André ont déjà de l’expérience à monter leur tente, les autres se débattent avec tiges et toile. Gudrun et Herman montent pour la premier fois leur tente suédoise, Lemmi se débat avec une tente et des tiges en alu qu’il a façonnée lui-même. Mais encore avant la tombée de la nuit, notre installation est parfaite.

Le plan d’André de faire du feu échoue avec notre désaccord sur la situation légale sur le territoire d’un National Forest et aussi à cause de bois très moite dans les environs. Lorsque le coucher du soleil avance, nous commençons à cuisiner. Nous pouvons nous vanter du réchaud à essence de Christian qui cuit tout beaucoup plus vite que les réchauds à gaz des autres. Comme nous sommes beaucoup à avoir fait les courses récemment, on peut faire des nouilles avec diverses sauces et attabler plusieurs sortes de formages. On cuit aussi du lard que nous avions acheté par erreur à l’état cru (on voulait du lard fumé).

Il commence à faire froid et nous débarrassons. Christian et André recommencent leur discussion toujours pas tranchée sur l’utilité d’utiliser du détergent avec de l’eau froide d’une rivière pour nettoyer une casserole huileuse. Les autres sont sûrement amusés à écouter notre grave débat. La vaisselle est finalement débarrassée du plus gros des saletés (remplacé par un peu de sable de la berge) et nous allons nous coucher, ce sera finalement notre nuit a plus haute à 3291 mètres au Graham Glouch près du North Fork Creek.

Le matin du 12 juillet 1996, Christian est réveillé bien avant le lever du soleil par des voix d’hommes et de voitures. Le soir, nous nous étions couchés en pleine nature, il croit d’abord rêver. Mais en regardant hors de la tente il voit une vingtaine de voitures garés de l’autre rive du torrent. Juste à ce moment, un transport de personnel part dans le tunnel de mine que nous avions vu le veille. Quelques minutes après, le calme revient et uniquement la rivière ronronne et tous les membres de notre petit groupe ronflent de nouveau.

Il fait vite chaud dans les tentes quand le soleil se montre, mais nous restons quand même couchés jusqu’à neuf heures. Nous reconnaissons alors les changements en détail. Le parking de l’autre rive, où se trouvent aussi nos voitures, est quasiment plein, mais on ne voit plus personne. Il n’y a plus d’eau qui coule du tunnel. La carte nous apprend plus tard qu’il s’agit d’une conduite vers un réservoir d’eau de l’autre côté du col. Mais nous ne savons pas à quoi cette installation sert.

Le petit déjeuner est aussi luxuriant que le dîner, on n’aura jamais autant de produits divers. C’est aussi dû aux autres qui sont arrivés avec leur van tout plein de bonnes choses. Nous ne sommes pas en reste, nous avons aussi dévalisé le supermarché d’Aspen hier. On a donc: du thé, du café, du chocolat chaud, du pain (mou seulement), diverses céréales, du lait, du yaourt, des fruits, des confitures, des pâtes à tartiner etc.

Christian, Gudrun, Hermann et Lemmi lors du petit déjeuner. Photo © André M. Winter

Christian, Gudrun, Hermann et Lemmi lors du petit déjeuner. Photo © André M. Winter

Après de long petit déjeuner, des gros nuages nous pressent à plier les tentes et à décamper. André voulait rester une journée ici et entreprendre quelque chose avec les autres. Mais la météo et la crainte de Christian de prendre trop de retard sur notre grand tour nous font reprendre la route. Ce détour si loin à l’est et le Colorado n’étaient pas du tout prévu, mais cela valait largement la peine! Nous arrivons a partir avant midi, non sans de longs adieux.

Pour sortir de cette région montagneuse, nous devons descendre encore vers l’est jusqu’aux Twin Lakes. De là, nous pourrons passer au sud et revenir en direction ouest.

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